Les résultats du Concours International de Lyon sont tombés. Voici mon avis sur ce concours.
Samedi 24 mars – 8h, me voilà partie dans les rues de Lyon direction la Cité Internationale pour assister, que dis-je « jurifier » – mot prononcé par l’un des organisateurs – les bières du Concours International de Lyon.
Installation
J’arrive donc en avance pour retirer mon badge et mon sac de « cadeaux ». La foule est dense et nous attendons tou·te·s (1) l’ouverture des portes de la grande salle en grignotant des petits gâteaux et en sirotant un jus d’orange. Je prends la mesure de ce concours qui semble bien rodé pour sa 9ème édition et surtout d’une importante non relative. Je compte une centaine de tables avec sur chacune 4 jurés. Nous devons, si mes calculs sont bons, être 400 à attendre sagement que l’on nous autorise à entrer. Je précise, pour ceux qui ne le savent pas, que ce concours concerne principalement le vin. Lors des discours, j’ai retenu que 8 800 (environ) échantillons y étaient inscrits dont 770 bières. Ce qui n’est pas mal tout de même.
Je suis à la table 7 – chouette, mon chiffre – je m’y installe la première. S’y trouve 4 verres ainsi que 4 stylos et 2 pochettes. Une étudiante en sommellerie fort sympathique commence à m’expliquer vaguement le principe des 2 pochettes et de la grille de notation. Lorsque j’ai une question un peu technique, elle interroge son « responsable » qui ressemble plus à garde du corps avec son mètre 90 et son oreillette qu’à un commissaire de concours.
Arrive ensuite mes compagnons de table : un brasseur suisse, un monsieur se présentant comme juré international (!) et un retardataire dont nous apprendrons plus tard qu’il travaille en pharmacie et qu’il souhaite ouvrir une brasserie dans le Sud de la France. Le soi-disant juré international, dont je tairai le nom, semble vouloir prendre la « direction » de la table. Soit. S’échange donc quelques banalités sur les bières et leur fabrication. Banalités qui augurent du niveau de mes acolytes.
La Première pochette contient nos fiches de Jurés avec la liste des 15 premières bières à « jurifier ». Je m’étonne d’en avoir autant ! Les informations données sont nombreuses (trop). Nous en connaissons l’origine, la catégorie, le style et le degré d’alcool. La première bière, servie directement au verre, est emballée dans une chaussette. Il nous est donc possible de voir la capsule et le format de la bouteille. On m’avait prévenu à ce sujet. Pour la capsule, c’est vraiment gênant. Pour la bouteille, les formats sont finalement assez différents pour ne pas si aisément reconnaître le produit.
Le système de notation m’a clairement perturbé. L’aspect, la mousse et le couleur sont sur 3 notes : 10 / 7 / 4. Le reste des caractéristiques sur 5 mais avec des échelles différentes. Je n’ai jamais été une grande matheuse mais quand même… Faudra m’expliquer le pourquoi du comment.
Première session : Les Saisons
La première bière servie est toujours la plus difficile, le palais est neutre et non saturé. L’amertume est donc plus intense et marque le palais. Il est important d’en tenir compte. Je commence toujours par le nez, ensuite je l’observe et enfin, je goûte. Nous sommes toujours servis dans le même verre que je suis la seule à systématiquement rincer (!). Les bières s’enchaînent donc et se ressemblent… Mais de là à dire qu’elles ressemblent à des Saisons, il y a un pas que beaucoup n’arrive pas à franchir. Pour rappel, selon le livre « Les Saveurs Gastronomiques de la Bière« , une saison a, je cite : « une levure expressive et phénolique (qui) engendre une bière sèche, fortement gazéifiée aux notes épicées et poivrées de citron, de foin et de terre qui rappelle les champs ensoleillés, un effet souvent amplifié par un houblon herbacés mi-amer ». Pour la foin et la terre, on repassera et pour le houblon mi-amer aussi. J’ai plus de pale ale houblonnée bourrées de défauts que de bières dans le style. Au fur-et-à-mesure de la dégustation, je dois me farcir et les goûts de DMS (2), d’oxydation (3) et de Diacéthyles (4) et les propos sexistes et parfois racistes de mon voisin de table (le juré International). Autant vous dire que je souffre et pense même à quitter la table… Faut dire que, je cite : »Les femmes sont plus critiques que les hommes », « Les hommes et les femmes n’ont pas le même palais ». Sans compter toutes ses remarques me rappelant qu’il y a « un brasseur derrière chacune des bières que nous goûtons » (Nan vraiment !?!?). Mes notes atteigne rarement plus que 65 sachant qu’à 75 points, c’est une médaille d’Argent et à 85, une médaille d’Or. Je me suis remise en question à plusieurs reprises : Suis- je trop sévère ? Est-ce que ce que je goûte est vraiment infecté à ce point ? Est-ce que j’aime vraiment la bière ? J’ai hésité avant d’écrire cet article car je savais qu’il me serait difficile de ne pas être acerbe. Reste, une « saison » fumée qui aura marqué mon palais et à laquelle j’aurais accordé un petit 72.
Deuxième session : Black IPA & Abbaye-Trappist Dubbel.
Après 10 minutes de pause, nous attaquons la deuxième partie de la dégustation. Il est déjà 11h. En plus des 15 échantillons de soi-disant « Saisons » s’ajoutent une dizaine de Black IPA et huit Dubbel soit au total plus de 30 bières à goûter et évaluer. La série des Black IPA me paraît d’emblée plus intéressante. La première servie n’est d’ailleurs pas si mal, j’irais jusqu’à dépasser les 70 points sur 100. Malheureusement, les suivantes ne sont pas à la hauteur. Pour rappel, selon les Saveurs Gastronomiques de la Bières, je cite, : « Un Black IPA a des houblons du Nouveau Monde très parfumés souvent aux flaveurs d’agrumes et de résines, s’exclament au-dessus et en dessous d’un malt torréfié relativement discret traçant le chemin vers une amertume longue et résineuse ». Pour l’amertume ok mais pour le malt torréfié, on repassera. La majorité des profil gustatif faisant la part belle au houblon mais trop souvent au détriment du malt. Enfin, les Abbaye-Trappist Dubbel dont l’atténuation de l’alcool est clairement mal maîtrisée. Pour rappel, une Dubbel goûte les « fruits foncés séchés ponctués de touches de caramel, de pain grillé et de noisettes du malt ne paraissent jamais trop sucrés dans cette brune parfois terreuse et toujours très gazéifiée ». Bon, ici, à part une mauvaise atténuation de l’alcool et donc un réel déséquilibre, rien d’autres. Je n’ai réellement apprécié que l’avant-dernière à 8,5% dans laquelle justement l’alcool était quasi imperceptible. Les autres ne m’ont vraiment pas laissé un souvenir agréable.
J’avoue être sortie un peu dépitée de ce concours. J’ai clairement douté de mes capacités et aussi été influencée par mes voisins de dégustation. J’ai donc pris le temps de vérifier les échantillons car une fois les fiches remises aux commissaires, ils nous étaient possible d’ôter les chaussettes. Voilà qui m’a rassurée. Certaines bières m’étaient déjà connues parce que préalablement goûtées ou connues de réputation. Je pense donc avoir jugé ces bières de manières certes plus critiques que mes compagnons de table mais honnêtement. Reste que la brasserie française si je me permets de généraliser un peu vite, à encore beaucoup de progrès à faire !
Pour conclure, ce concours, selon moi, nécessite d’être revu tant au niveau de la sélection et de la formation des jurés qu’au niveau de la grille de notation. Et même si les bières inscrites à ce concours ne sont pas représentatives de la qualité globale de la scène française, ami·e·s brasseur·se·s un peu d’efforts, s’il-vous-plait !
PS : Je me retiendrai de commenter les résultats que vous trouverez via ce lien
(1) J’utilise volontairement l’écriture inclusive pour faire grincer les dents de ses détracteurs.
(2) (3) (4) Je vous laisse lire cet article de l’excellent magazine Bières & Plaisirs sur les défauts dans la bière.
Merci ! Démonstration édifiante de ce qui arrive quand d’aucuns prétendent étendre un concours de vin à la bière sans avoir cherché à saisir les spécificités de la bière:
– Tout est dégusté dans un seul et même verre. C’est sans importance pour le vin, mais pour la bière, c’est vital, les traces de gras qu’on laisse en dégustant tuant la mousse de plus en plus vite à mesure qu’on avance.
– La dégustation une bière à la fois donne en plein dans l’écueil de l’effet première bière, celle-ci paraissant toujours avoir plus de relief et d’intensité que les suivantes.
– Les bouteilles arrivant « en chaussette » à la table sont un gros problème aussi. On s’entend que dans le vin, les calibres de bouteilles sont relativement standardisés, avec des bouchons qui le sont aussi, donc que le problème d’identification des producteurs par la forme des bouteilles ou les capsules n’existe pas. Par contre, dans la bière…
– D’une manière générale, le fait que les bouteilles arrivent à la table, même anonymisées pose un problème fondamental en termes d’influence des jury en fonctions de leurs préjugés sur les brasseries. Le fait que les règles données aux jurés* précisent « Respectez l’anonymat des échantillons jusqu’à la fin » indiquent qu’il y a probablement déjà eu des problèmes autour de ce point.
Et je n’aurai pas la grossièreté de qualifier l’attitude du « juré international » que tu rapportes… 😦
* ici: https://www.concourslyon.com/regles-degustation.html
Bonjour
C’est dommage de ne pas aller au fond de la critique, au moins en donnant les véritables références dans chaques catégories,Cela peut donner un axe de travail et de progression pour les autres brasseurs.
Je suis toujours en recherche de progression et un avis éclairé et impartial est bon à prendre
Bittor
Bonjour Bittor,
Il s’agit là d’un retour d’expérience personnelle. Le temps me manque mais si on me donne l’opportunité d’approfondir mon sujet avec les organisateurs, je le ferais avec plaisir. J’ai pas mal échangé avec des dégustateurs qui ont eu l’occasion de faire des concours en tant que jurés à l’étranger. J’ai aussi échangé avec des brasseurs qui ont déjà présentées leurs bières à maintes reprises. D’ailleurs, il suffit parfois de regarder la qualité des commentaires de dégustations pour se rendre compte du niveau des palais qui jugent les bières. Bref, apporter des solutions pourrait faire l’objet d’un second article…
Dorothée
Pingback: Label : « profession brasseur » versus « profession brasseur de salle de bain » ? – Le blog des bières artisanales françaises